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Pour des nouvelles gourmandes
Acheter local? Plus qu’un encouragement!
On insiste souvent sur le modèle de l’agriculture soutenue par la communauté, mais on oublie trop souvent la contribution des entreprises agricoles à la résilience et au dynamisme de notre économie et de nos communautés. Et si, plutôt que d’encourager nos producteurs agricoles et agrotransformateurs, on percevait l’achat local comme un investissement dans notre propre potentiel collectif?

Le plaisir d’acheter local dans les marchés publics de la région. ©Goûtez AT – Christian Leduc
Acheter local? Plus qu’un encouragement!
Selon une analyse des retombées de l’industrie agroalimentaire publiée par l’Union des producteurs agricoles (UPA) en 2023, « l’effet multiplicateur » de l’agroalimentaire est de 1,5. C’est-à-dire que pour chaque emploi direct, l’industrie soutient 1,5 autre emploi dans le reste de l’économie. C’est donc dire qu’acheter local, c’est beaucoup plus qu’un simple encouragement — une expression que les principales intéressées consultées pour cet article s’accordent pour détester!

Evelyne et Jérôme de Boréalait savourent leur yogourt fermier. ©Goûtez AT – Christian Leduc
Des retombées dans le milieu
« Mon impression se fait chez Imprimerie Harricana à Amos. Mes besoins financiers, c’est chez Desjardins. Tous mes achats je les fais à la Coop IGA parce qu’il y a des retombées dans le milieu. Je suis vraiment sensible à ça. À coût égal ou un petit peu plus élevé, c’est sûr que je choisis les fournisseurs d’ici », illustre la copropriétaire de Boréalait, Evelyne Rancourt, qui se fait aussi un point d’honneur de se procurer sirop d’érable, miel, petits fruits et tutti quanti auprès des agrotransformateurs d’ici.
Si elle a décidé de se lancer en affaires et de transformer le lait de la ferme familiale de Saint-Félix-de-Dalquier, ce n’est d’ailleurs pas pour « téter les subventions », ni les encouragements, dit-elle. Elle croit d’ailleurs que le gouvernement dispose de leviers susceptibles d’avoir un impact beaucoup plus important pour les petites entreprises comme la sienne.
« Ce que je veux, c’est produire et développer mon entreprise. Que le gouvernement se fixe des cibles d’achat local et qu’il en fasse la promotion en région. Je pense que ça ne serait pas un si gros effort. Et je vais être la plus heureuse au monde si les CPE de la région se tournent vers nous pour acheter des chaudières de yogourt », cite-t-elle en exemple, anticipant que le volume de production ainsi accru pourrait potentiellement générer des économies d’échelle et lui permettre de réduire ses prix.

Caisse de carottes fraîchement cueillies. ©Courtoisie
Des gains environnementaux
L’ancienne députée solidaire et porte-parole en matière d’agriculture, Émilise Lessard-Therrien, se désole que l’équivalent de 2 milliards de dollars d’achats pour les institutions gouvernementales soient encore majoritairement issus d’aussi loin que de la Pologne. On ne joue pas à armes égales, croit-elle.
« Les oignons, les patates, les carottes, ce sont toutes des choses qu’on fait très bien pousser. Si demain matin, toutes les cafétérias de nos hôpitaux et de nos CPE devaient s’approvisionner localement, ce serait un game changer, illustre-t-elle, persuadée qu’elle pourrait par exemple fournir sa farine artisanale Le Goût du pays dans le CPE que fréquentent ses enfants. Mais nos produits sont en compétition avec des aliments cultivés par des gens qui ne gagnent pas bien leur vie, où la réglementation sur les pesticides et les pratiques agro-environnementales ne sont pas aussi développées. Et ces produits ont traversé la moitié du continent! »
C’est d’ailleurs les deux mains dans la terre qu’elle livre ce plaidoyer senti, alors qu’elle est en stage à la Ferme Nordvie, avec sa comparse Madeleine Olivier. Aussi allergique aux invitations à « encourager » les producteurs via l’achat local, la maraîchère avance que chaque maillon de la chaîne d’approvisionnement pourrait jouer un rôle. Et si par exemple, les épiciers étaient tenus de se doter d’un « espace local »?
« Ce n’est pas juste de le forcer à céder un espace local. Comment peut-on récompenser l’épicier qui fait ça et valoriser son rôle dans la chaîne d’approvisionnement local? Parce que là, on est les fournisseurs compliqués parce qu’on ne peut pas fournir à des dates précises, dans des volumes précis, comme on est habitués dans les chaînes conventionnelles », dit-elle.

Champs de canola au Témiscamingue. ©Goûtez AT – Christian Leduc
Occuper et dynamiser le territoire
Toutes deux croient qu’il faut aussi continuer à sensibiliser les consommateurs, les aider à reconnecter avec l’agriculture afin qu’ils soient plus à même de prendre la mesure de tout le temps et le travail investis dans la production d’aliments sains — une prise de conscience qui pourrait, selon elles, contribuer à réduire le gaspillage alimentaire. Il s’agit d’un avis partagé par la productrice bovine Christel Groulx, de la Ferme Des Praz et Filles, qui dit se sentir plus à l’aise dans la relation directe avec le consommateur.
« Moi, j’aime recevoir. L’agrotourisme, c’est parfait parce que ça me permet de recevoir les gens, de faire rouler ma petite boutique, de parler de ce que j’aime faire, de démocratiser l’agriculture et la production. Ce n’est pas vrai que l’élevage, c’est juste polluant. Il y a des bienfaits. Cette relation, ce moment avec le client, on ne l’a pas autrement », dit-elle, invitant ceux qui sont rebutés par le prix du bœuf à en « manger moins, mais à le choisir mieux ».
Toutes les quatre insistent aussi sur le caractère identitaire et durable que l’occupation agricole procure au territoire. « Structurer le paysage agricole, c’est un plus aussi pour l’industrie touristique, pour l’identité qu’on peut se donner régionalement. Un mois de juillet sans champs de canola au Témiscamingue, ce n’est pas la même affaire ! », conclut Émilise Lessard-Therrien.

